Presentation du numéro volume 27, numéros 1 et 2
Introduction au dossier thématique : « La voix-je dans les cinémas francophones ».
Numéro dirigé par Vincent Bouchard (Indiana University) et Izabela Potapowicz (Université de Montréal)
Ce volume 27 (numéros 1 et 2, Printemps et Automne 2014) de la revue Études Francophones est consacré à la « voix-je », comprise comme toute forme de mise en scène de l'auteur dans l'œuvre audiovisuelle. En ce sens, nous proposons d'étendre la définition proposée par Michel Chion, qui, dans son texte fondateur La Voix au cinéma, insiste sur le fait que la « voix-je » n'est pas simplement la voix d'un narrateur absent à l'image ou hors de l'espace diégétique :
Ce qui fait une « voix-je », ce n'est pas seulement l'utilisation de la première personne du singulier. C'est surtout une certaine manière de sonner et d'occuper l'espace, une certaine proximité par rapport à l'oreille du spectateur, une certaine façon d'investir celui-ci et d'entraîner son identification. (Chion 54)
Dans ce numéro, nous considérons la « voix-je » comme toutes les formes de mise en scène du créateur (au sens large, que ce soit le réalisateur, le scénariste, etc.) dans le film. Ainsi, nous proposons de comprendre la « voix de l'auteur » non seulement au travers des manifestations verbales ou physiques du cinéaste dans son film, mais également par le biais des mentions de son expérience personnelle et de ses opinions dans la construction du récit ou du discours cinématographique. Ce numéro n’est toutefois pas dédié exclusivement aux « marques d'énonciations », c'est-à-dire lorsque le narrateur souligne, pour une raison ou une autre et suivant différents procédés, la mise en récit de l'histoire. Nous proposons en effet de ne considérer ces traces que lorsqu'elles renvoient explicitement à l'auteur.
Les contributions sélectionnées pour ce numéro concernent toutes les branches des études cinématographiques, y compris l'approche narratologique qui, en dépit de sa légitimité, ne constitue toutefois pas la seule orientation méthodologique de ce numéro : les articles qui cherchent à analyser une caractéristique esthétique d'un courant cinématographique ou d'un réalisateur, ceux qui posent la question en terme de discours produit, ou ceux qui s'intéressent à la réception de la « voix-je » ont attiré également l'intérêt du comité de sélection. Par exemple, les directeurs de ce numéro thématique ont encouragé les chercheurs à prendre en compte un autre aspect souligné par Chion, à savoir le rôle des « voix-je » dans le processus d'identification des spectateurs :
pour appeler l'identification du spectateur, donc pour que celui-ci se l'approprie plus ou moins, elle doit être cadrée et enregistrée d'une certaine manière, qui lui permet de fonctionner comme pivot de l'identification, de résonner en nous comme s'il s'agissait de notre propre voix, comme une voix à la première personne. (Chion 54)
Dans ce numéro d'Études Francophones, nous nous proposons donc de réfléchir sur la manière dont les cinéastes francophones se mettent en scène dans leurs films, que ce soit en filmant leur corps, en enregistrant leur voix ou en faisant référence à leur expérience personnelle ou intime, par divers dispositifs tels que :
- L'intervention directe d'un réalisateur pour présenter son film, pour le conclure, voir même en interrompant la narration, à la manière de Sacha Guitry ou de Jean Cocteau.
- Les différentes manières dont les réalisateurs peuvent commenter une partie ou la totalité d'un film.
- Les cinéastes qui filment leur vie intime, soit sous une forme d'auto-documentaire, soit en fonctionnalisant une expérience passée.
- Les cinéastes qui jouent dans leur film, en exploitant leur propre rôle ou en interprétant un personnage fictionnel.
- Le rapport entre la « voix-je » et l'essai cinématographique.
- La « voix-je » comme rupture du continuum cinématographique ou pivot de l'identification spectatorielle.
La diversité des cinéastes abordés dans ce numéro (dans l'ordre des contributions: Romain Goupil, Jean-Luc Godard, Robert Bresson, Hakim Belabbes, Vincent Dieutre et Mariana Otero) ainsi que celle des problématiques étudiées (du cinéma révolutionnaire au cinéma intime, du texte cinématographique à l'image dérobée, de l'intériorité autobiographique à l'extériorité filmique, de la nouvelle vague aux pratiques contemporaines des séries web, etc.) attestent de la pertinence et de la richesse du thème choisi.
La rédaction d'Etudes Francophones vous souhaite une bonne lecture de ce numéro.